Ellana
Face aux lecteurs accomplis que réunissait ce club de lecture, une jeune fille au visage que les années avaient marquées plus que n'importe quelle autre femme, ouvrit l'énorme livre dont elle avait décidé de lire un passage aux autres personnes présentes :
"Il faisait sombre en ce couloir, quand les charnières de l'unique porte d'où un filet de lumière s’échapper, grincèrent. La responsable, une petite fille d'une dizaine d'année, blonde comme les blés, aux yeux émeraudes et habillée d'un unique tissu de coton vulgairement attaché par une broche rouillée.
Ellana s'était réveillée auprès de sa soeur, l'unique membre de sa famille encore en vie, dans une chambre inconnue. Son aînée dormait encore lorsque la fillette s'était approchée de la fenêtre dans le but de découvrir les lieux. Elle n'eut le temps d'apercevoir que le soleil couchant derrière une vaste et lugubre forêt, quand un immense homme était apparu et, prenant la soeur dans ses bras, était reparti immédiatement. Sa démarche était souple et légère, on aurait cru qu'il flottait. Ellana n'avait pas tout de suite compris ce qu'il venait de se passer, cet étranger l'avait-il oublié? Sûrement pas, se dit-elle alors qu'elle avait pris la direction de la porte espérant pouvoir retrouver rapidement sa soeur. La porte franchie, elle se retrouva dans un immense couloir aux portes multiples. L'entré se referma derrière elle tellement doucement qu'elle ne l'entendit pas. Maintenant, il faisait tellement sombre qu'Ellana ne pouvait avancer qu'en tâtant les murs épais et humides. Aveugle, elle voguait au hasard dans les corridors, se sentant faible et désemparée. Pas un bruit pour l'aiguiller, aucune lumière pour la rassurer, l'enfant ne cessait d'avancer avec le seul espoir de revoir sa tendre soeur. Elle s'était alors perdue dans l'immense demeure, lorsqu'elle avait aperçut la faible lumière de sous une porte de bois brute et qu'elle avait entrouverte celle-ci.
Elle se trouvait donc derrière cette entrée, cachée du regard glacial du mystérieux homme. Ellana glissa un oeil dans la pièce. C'était un salon gothique qui convenait parfaitement avec le style de la battisse. Il était très peu meublé : sur le mur de droite une immense bibliothèque remplie d'ouvrage, dont certains semblaient datés d'il y a longtemps, révélait un passionné de lecture. Une grande fenêtre d'où une vue magnifique sur la montagne au claire de la pleine lune apparaissait sur le mur d'en face de la porte. Sur la face gauche de la pièce, une unique cheminée où un feu crépitait, sur le plafond un lustre tout de cristal et de fer forgé d'où émanait la faible lueur de ses treize bougies. Et pour finir, un fauteuil placé prés de l'âtre de la cheminée et un sofa au centre de la pièce disposé près d'une petite table.
Un corps inanimé gisait devant le sofa. Ses cheveux d'or trempaient dans du sang, ses yeux étaient délicatement fermés, ses mains doucement posées sur son ventre plat. Son teint était pâle et sa bouche délicieusement rouge du même sang que dans lequel elle reposait. Elle paraissait sereine comme si elle était morte dans les bras d'un homme l'aimant éperdument. Si l'on s'approchait, on pouvait distinguer deux petits trous dans sa gorge, et si l'on soulevait ses paupières, on pouvait voir deux émeraudes. Ainsi, Ellana venait de perdre l'unique membre de sa famille et une perle salée roula sur sa joue.
Lui était là, près de la cheminée, un verre remplit d'un liquide rouge à la main. Il leva soudainement les yeux comme s'il avait été surpris de la présence de son invitée. Un sourire discret apparut et, déposant son verre sur la cheminée, il fit un signe à la petite de s'approcher. Ellana devint écarlate et une sueur froide perla sur son front. Elle voulut alors s'échapper en courant et hurlant, seulement ses jambes devinrent si lourdes qu'elle ne put les soulever, et aucun son ne sortit de sa bouche malgré les vibrations de ses cordes vocales. Son affolement était tel qu'elle n'aurait su dire si elle était pétrifiée de peur ou si tout ceci était du à la chose qui l'attendait dans l'autre pièce. Malgré elle, ses jambes se mirent en mouvement presque automatiquement et la dirigèrent vers la pièce maudite. S'ils avaient pu, ses cheveux se seraient dressés sur sa tête, s'il avait été possible, elle aurait eu la chaire de poule. Mais son corps ne lui appartenait plus, elle était prisonnière de sa carcasse la menant droit au suicide.
" - Viens mon enfant. N'ai crainte, je ne te veux aucun mal, murmura la créature. Mon nom est Nathaniel Granvelh, et toi, qu'elle est ton jolie nom, adorable petite fille?"
Les jambes de la fillette se plièrent et elle s'assit sur le fauteuil en face de Nataniel.
" - Mon... mon nom est Ellana. Vous avez tué ma sœur ? Vous allez me tuer ? Qui êtes-vous ? , bégaya l'enfant.
- Eh bien, que de question, répondit la bête. Effectivement ta soeur est partie dans un monde sans douleur, mais ne t'inquiètes pas, tu ne mourras pas et qui je suis? Je suis un faible à la recherche d'une compagnie pour les siècles à venir.
- Les... les siècles ?!? , bredouilla la petite fille apeurée.
- Oui ma douce Ellana. Dis moi, voudrais-tu devenir l'une de ces merveilleuses poupées de porcelaine à la peau si pâle, aux lèvres si rouges et aux cheveux si soyeux ? Voudrais-tu t'habiller tel une princesse avec ces robes de soie et de fils d'or, ces bijoux de rubis et de diamants ? , questionna-t-il.
- Oui, j'aimerais beaucoup, affirma Ellana.
- Voudrais-tu être Eternelle et ne jamais faner tel une fleur ? Voudrais-tu garder cette beauté qui est tienne à jamais ? , interrogea le monstre.
- Mais ceci est impossible, bien entendu que je l'aimerais, mais je ne suis pas une telle personne! , rétorqua-t-elle horrifiée.
- Chut mon Ellana. Cesses de dire des idioties, tout cela est possible. L'important est que tu le veuilles. Tais-toi et laisses moi faire.", susurra la créature.
Le preneur de vie étala alors la fillette prise d'un vertige. Le coeur serré, elle ferma lentement les yeux. Elle sentit une douce et agréable odeur et son coeur s'alarma, il se mit à battre avec une telle rapidité qu'il aurait pu explosé. Lui, s'approchait délicatement dans l'espoir de ne pas trop affoler la petite, mais en vain. Ce dernier était maintenant tellement près d'elle qu'elle pouvait sentir son souffle chaud dans son cou ce qui la glaça littéralement. Ellana perçut une légère douleur provenant de sa gorge. Son sang commença à se répandre, il coulait dans ses cheveux, son cou et sur son torse, elle baignait dedans. Elle ouvrit alors ses yeux et vit que la créature lui portait son poignet sanglant à la bouche. Il lui glissa quelques gouttes de ce liquide de vie sur ses lèvres et sans qu'elle sut pourquoi, attirée, elle le lui mordu violemment, étanchant sa soudaine soif. Elle lâcha enfin le poignet, désaltérée. Sa douleur se calma pour reprendre de plus belle plus fortement, s'étendant à tous ses membres, elle en devenait insupportable.
Puis des transformations physiques s'opérèrent. Ses merveilleux yeux émeraudes devirent d'un rouge traduisant la soif de sang, sa peau devint si livide qu'elle en était presque transparente, ses cheveux blonds se teintèrent de reflet or et miel, la masse impressionnante de sa crinière se changea en une chevelure lisse et soyeuse et des anglaises apparurent à ses pointes. Sa bouche d'habitude si fine et effacée se transforma en des lèvres pulpeuse suscitant le désir, son corps rachitique devint svelte, élancé et souple et ses mains s'affinèrent. La douleur enfin disparut et la nouvelle née s'évanouit.
Trois jours plus tard, Ellana enfin se réveilla. A son chevet son créateur, ne croyant plus à son réveil, releva la tête et lui sourit gentiment, rassuré qu'elle survive à cette lourde transformation. Nathaniel lui expliqua qu'elle ne devrait pas sortir pendant quelques temps, qu'il fallait qu'elle apprenne à se contrôler. Elle n'eut d'autre choix que celui d'approuver. Dans un premier temps, ses journées se résumèrent à l'apprentissage. Le matin, Nathaniel lui enseigna les bonnes manières, l'histoire et la musique. Les après-midi étaient consacrés à la lecture, l'écriture et aux calculs. Enfin, la nuit, il lui apprenait l'art de la chasse et à se contrôler face à une odeur alléchante. Ellana passait son temps libre à flâner dans la maison pour en apprendre le plan par coeur. Désormais, elle y voyait clair malgré l'obscurité qui régnait toujours. La jeune enfant avait toujours une répulsion en pensant à Nathaniel cependant, elle ne savait pas pourquoi, il ne lui restait aucun souvenir de sa vie d'avant. Et lorsqu'elle le regardait dans les yeux, toute haine s'envolait pour laisser place à un amour brûlant. Son apprentissage se termina relativement vite et dorénavant, elle avait quartier libre. Ellana passa plusieurs semaines à hanter le manoir et à perdre son temps dans les nombreux bouquins de la bibliothèque. La nuit venue, elle chassait seule le repas pour l'apporter à Nathaniel. Ainsi, elle oublia la répulsion qu'elle avait connue envers ce dernier, et l'aimait d'un amour profond. Lors d'une journée de pluie, le couple parti en forêt dans l'espoir d'apercevoir quelques sangliers ou quelques biches. Ils ne trouvèrent rien et sur le chemin du retour, elle décida de rapporter à son amant son ennui et son désir de changer de paysage. Ils décidèrent donc ensemble de laisser la vieille demeure en proie aux nombreuses araignées et de partir vers Londres où ils pourraient enfin sortir sans craintes.
Le soir même, la jeune enfant (si on peut encore la nommer de la sorte) et l'élégant homme, partirent au delà de l'immense forêt, sans un regard en arrière avec pour seul bagage un étrange coffre de bois. Ils arrivèrent au beau milieu de la nuit près du port de la ville la plus proche. N'ayant aucun bateau à destination de Londres avant demain matin, ils flânèrent dans les rues. L'aurore approchée de plus en plus mais le couple ne s'en inquiétait pas, demain, il ferait très sombre à cause des nuages arrivant rapidement. Le soleil pointant à l'horizon, Ellana et Nathaniel était dans le premier bateau partant pour l'Angleterre. C'était un bateau de marchandise guère approprié pour des voyages confortables. Malgré tout, les marins firent tout leur possible pour rendre ce déplacement le plus luxueux possible pour ce duo. Ils avaient donc dormi dans la cabine du capitaine, à deux sur une banquette peu commode pour accueillir deux hôtes. Le cuisinier leur avait préparé le meilleur poulet qu'il avait en réserve, une volaille qu'ils n'avaient pas touché d'ailleurs. La nuit, des matelots leur avaient appris le nom d'étoiles qu'ils connaissaient déjà sur le bout des doigts. Malgré ses efforts peu payants, Ellana était heureuse car, non seulement son amant lui était dévoué depuis qu'ils avaient quitté l'ignoble manoir. Mais en plus, l'équipage la faisait vraiment rire. La troisième nuit à bord de ce navire, la jouvencelle aperçue un port. Deux heures plus tard, ils accostèrent et elle salua les matelots en attendant que Nathaniel trouve une voiture pour les mener à Londres. Ceci fut très rapide, il revint, deux minutes après avoir été parti, avec deux chevaux attelés à un véhicule. Le chauffeur était un homme gras, mal rasé et avec une fine moustache noir.
"- Alors vous faites bon voyage, demanda le chauffeur étonné de ne trouver pour bagage qu’un coffre de bois.
- Bien merci, répondit le voyageur dans un parfait anglais. Ne traînons pas, j'ai des obligations qui m'attendent."
Le chauffeur leur ouvrit la porte et se mit en route pensant qu'il fallait mieux éviter de les contrarier.
Le trio arriva quelques heures plus tard, devant une immense maison, le couple paya le chauffeur et entra dans la demeure. Elle n'était guère différente des maisons alentours si ce n'est qu'elle était plus belle. L'intérieur était lui aussi magnifique, c'était un intérieur digne d'un prince. Le soleil commençait à se lever. Ellana qui n'avait pas dit un mot depuis son entrée dans le carrosse, alla se coucher sur le lit à baldaquin, épuisée. Fermant les yeux, elle vit une belle jeune femme, étalée dans une mare de sang, les deux petits trous dans son cou, ses yeux émeraudes, puis lui, se penchant sur son cou à elle, la dévorant, faisant d'elle un monstre. La fillette se réveilla en sursaut, elle n'avait pas rêvé depuis sa transformation. Ayant retrouvé tous ses souvenirs, elle compris que le mystérieux coffre contenait le corps de sa défunte soeur. Elle alla se regarder dans le miroir mais la glace ne renvoya aucun reflet et c'est à ce moment qu'elle pris conscience de ce qu'elle était devenue et elle se mit à haïr son créateur. Mais qu'avait-elle fait ?
La divine Créature qui était venu en Angleterre pour découvrir des nouveaux paysages, passa ses nuits dans la bibliothèque centrale de Londres. Elle lisait le plus de livre possible sur les goules et récolta le plus d'information sur eux et notamment sur les moyens pour les tuer. Quand Nataniel lui demandait pourquoi elle passait ses soirées à lire ces livres alors qu'elle n'était pas venue ici pour ça, elle lui répondait simplement qu'elle voulait en savoir le plus possible sur ses origines et il la laissait en paix. Ellana cultivait sa haine envers les êtres de son espèce et envers elle-même. Cependant, elle savait qu'elle n’aurait pas le courage de se suicider. De plus, cela ne l'avancerait à rien. Aussi avait-elle décidé de libérer le monde des suceurs de sang et de ne pas se nourrir de sang humain. Elle appris que plus une goule était ancienne, plus il était difficile de l'abattre et en déduisit que l'eau bénite, les crucifix et les pieux ne suffiraient sûrement pas pour supprimer son "amant". Avec toutes les informations qu'elle réunit, elle conclu que le mieux pour le tuer serait de le démembrer et de le brûler. Il ne lui rester plus qu'à imaginer un plan et elle avait une petite idée.
Ne rentrant pas tard ce soir là, Ellana arriva bien avant Nathaniel. En attendant le retour de la créature, elle mit sa plus belle robe de velours noir et de fils d'or rappelant sa chevelure soyeuse, sa plus belle parure d'émeraude comme ses yeux d'antan et attacha ses cheveux d'une coiffure d'or. Elle étala de la poudre pour blanchir une peau qui n'en avait pas besoin, se mit une mouche au dessus de sa pommette droite, un peu de fard à paupières gris et du rouge à lèvres qui fit ressortir le besoin de sang que ses yeux reflétaient. Lorsque Nataniel rentra, il fut surpris de voir revoir sa poupée de porcelaine aussi belle qu'elle ne l'était autrefois. Elle lui pris la main, l'entraîna dans la chambre puis l'allongea sur le lit. Lui se laissait faire, ravi de la voir aussi magnifique, hypnotisé. La divine Morte ouvrit les premiers boutons de la chemise de son amant pour dégager son cou, et s'approcha délicatement. Elle le mordit délicieusement, savourant chaque goutte de son sang qui glissait dans sa gorge. Elle devenait plus forte, elle le sentait, elle le savait. Lorsque Ellana se retira, Nataniel compris enfin qu'il était en danger, dans les yeux de celle qu'il avait aimé plus que tout, il vit sa fureur, sa rage, sa haine envers lui et il pris peur. Elle lui arracha la jambe droite. Non, il n'avait pas peur de mourir, mort il l'était déjà depuis des siècles, ce qui l'effrayait, c'était de perdre la seule chose au monde qu'il avait, de perdre la seul personne qui l'avait aimée, de La perdre et de se trouver à nouveau solitaire. Puis la jambe gauche atterrie sur le sol maculé de sang. Il savait ce qu'il se passer, le poison que lui avait injecté sa Bien-Aimée en le mordant le paralysait mais s'il avait pu, il n'aurait rien fait pour l'empêcher de le détruire. Le bras gauche rejoignit la jambe au sol. Il l'aimait et il avait d'elle un monstre pour pouvoir rester auprès d'elle à jamais, il avait été égoïste et elle le détestait. Elle enfonça un poignard d'argent dans les abdominaux et remonta ainsi jusqu'au torse. Ainsi c'était sa punition et elle seule avait le droit de l'appliquer. Elle lui extirpa les tripes qu'elle abandonna vulgairement sur le lit. Il rassembla le peu de force qu'il lui restait, tendit sa main pour caresser son doux visage marqué par la rancoeur. Elle lui arracha le bras. Il voulu lui dire ces trois derniers mots emplis de tout l'amour qu'il avait éprouvé en la voyant la première fois, qu'il éprouvait en ce moment et qu'il éprouverait à jamais. Mais sa tête disparue enfin roulant sous le lit.
Abandonnant la piteuse bête étalée sur le lit, Ellana retira précipitamment les bijoux, la coiffure et la magnifique robe rouge sang, effaça son maquillage et enfila une simple robe de paysanne avant de mettre le feu au débris de la goule, à la chambre, à la maison. Elle s'échappa en courant le plus loin possible du quartier maintenant en alerte et tentant d'éteindre les battisses en flammes. Le jour commençait à se lever lorsqu'elle se réfugia dans une crypte, dans laquelle un coffre de bois y avait été récemment déposé, et où était gravées à même la pierre les inscriptions suivantes :
Mr et Mme Lovelace
Morts vidés de leur sang en 1804
Laissant derrière eux deux émeraudes Ewilan et Ellana
Paix à leurs âmes
A partir de ce jour, elle vivrait dans l'ombre de la réalité, anéantissant ces créatures fantastiques."
Alors que minuit approchait dangereusement, la jeune fille referma le bouquin sous un tonnerre d'applaudissement.
" - Veuillez m'excuser, je doit me retirer, conclu la demoiselle. Il faut que j'aille devant la crypte familiale pour rendre hommage au moment où Dieu a rappelé ma soeur à lui.
- Acceptez donc toutes nos condoléances et permettez moi d'ajouter que vous lisez vraiment bien et que les ouvrages que vous sélectionnez sont toujours passionnants, félicita la directrice du club de lecture
- Je vous remercie, répondit la félicitée.
- C'est toujours une joie de recevoir une lectrice si jeune et si douée parmi nous Mlle Granvelh, déclara la vielle femme.
- Mais non, ce n'est rien, confia la lectrice émérite. Et puis appelez moi donc Ellana. »